Fourier (annexe) : comment mettre en évidence théoriquement l'effet de serre

L'article de cette semaine dans ma série sur les pionniers de la climatologie était consacré à Joseph Fourier. On lui doit notamment d'avoir deviné l'existence de l'effet de serre en réalisant un bilan énergétique sommaire de la Terre.
Dans l'article, je ne suis pas entré dans les détails de cette démonstration mais il me semble intéressant de le faire en annexe. En effet, il est toujours bon de rappeler que l'effet de serre, à l'origine du réchauffement actuel de la planète, n'est pas une théorie scientifique de pointe : il peut être mis en évidence avec des connaissances physiques et mathématiques relativement simples (ceci-dit, si vous êtes allergique aux équations passez votre chemin...).

Dans cet article, nous allons donc suivre le raisonnement de Fourier en 1824 dans une version un peu actualisée puisqu'elle fait appel à la loi de Planck, formulée elle en 1900.
En bref, le principe est le suivant : la Terre reçoit de l'énergie du soleil sous forme de rayonnement électromagnétique et à son tour rayonne vers l'espace. Pour que la température se stabilise, la quantité d'énergie reçue par notre planète doit être égale à la quantité d'énergie perdue, cet équilibre permet de calculer une température théorique à la surface de la Terre. Mais ce chiffre est inférieur à la réalité. La prise en compte de l'atmosphère et de l'effet de serre permet de corriger cet écart.


Une affaire de rayonnements


Pour commencer, il faut savoir que tout objet dont la température est supérieure au zéro absolu (-273.15°C) émet un rayonnement électromagnétique. Il est possible d'évaluer les caractéristiques de ce rayonnement en s'appuyant sur un modèle simple : le corps noir. Un corps noir est un objet opaque (il ne laisse rien passer du rayonnement qu'il reçoit) et parfaitement absorbant (il ne réfléchit rien du rayonnement qu'il reçoit). Dans la réalité, évidemment, la plupart des objets laissent passer certains rayonnements et en réfléchissent d'autres. Notre corps, par exemple, réfléchit une partie de la lumière visible (ce qui nous permet de le voir) mais laisse passer les rayons X.

La puissance rayonnée par un corps noir et les fréquences dans lesquelles il émet dépendent uniquement de la température de sa surface. La loi de Planck permet de déterminer le spectre d'émission d'un corps noir en fonction de sa température : 
Loi de Planck
Où :
  • M est l'émittance, c'est-à-dire a puissance rayonnée par unité de surface, en fonction de la fréquence, elle est exprimée en Wm-2,
  • f la fréquence en Hertz,
  • T la température absolue à la surface du corps noir, c'est-à-dire la température en degré Celsius à laquelle on ajoute 273.15,
  • h la constante de Planck : h ≈ 6,626.10−34Js, 
  • c la vitesse de la lumière dans le vide : c ≈ 299800000 ms−1
  • k la constante de Boltzman : k ≈ 1,380.10−23 JK1.

Vous n'avez pas besoin de retenir cette formule pour comprendre la suite, sachez seulement qu'on peut en déduire deux résultats intéressants.

D'abord, on peut rechercher le maximum de M(f) pour déterminer quelle est la fréquence autour de laquelle un corps émet le plus. C'est la loi de Wien :
Loi de déplacement de Wien
Où σω est la constante de Wien : σω ≈ 2,898.10-3 Km

Ce que nous dit la loi de Wien, c'est que plus un objet est chaud plus il rayonne dans une gamme de fréquences élevée. En pratique, à température ambiante, les objets ordinaires rayonnent dans l'infrarouge et c'est la réflexion de la lumière ambiante qui les rend visibles. A partir de 600°C environ, une partie du rayonnement à lieu aux fréquences les plus basses du spectre visible et l'objet commence à rougeoyer, si la température continue à augmenter il deviendra progressivement plus clair jusqu'au blanc. A très haute température, la lumière produite devient bleue et de plus en plus foncée. Un fer rouge, par exemple, a une température comprise entre 575 et 800°C au-delà il tire vers le orange puis le blanc.

Deuxième application intéressante de la loi de Planck : on peut intégrer M(f) pour calculer la puissance totale rayonnée par unité de surface. C'est la loi de Stefan-Boltzmann :

Loi de Stefan-Boltzman
Où σ est la constante de Stefan-Boltzmann : σ ≈ 5,670.10-8 Wm-2K-4.

En bref, la loi de Stefan-Boltzmann signifie que la puissance rayonnée par unité de surface augmente rapidement avec la température. Elle permet aussi de calculer la puissance totale rayonnée par un objet : si la température est la même partout, il suffit de multiplier par sa surface.


Calcul du rayonnement solaire


Si on suppose qu'il se comporte comme un corps noir, la loi de Stefan-Boltzmann permet de calculer l'émittance du soleil. Sachant que sa température moyenne est de 5777 degrés Kelvin, il doit émettre par mètre carré de surface :
Calcul de la puissance rayonnée par metre carré du soleil
Comme son rayon est de 695700km, on en déduit facilement la puissance totale rayonnée par le soleil :
Calcul de la puissance totale du rayonnement solaire
Le soleil émet donc à la louche 400 yottawatts, ou 400 millions de milliards de gigawatts pour utiliser une unité qui parlera plus aux énergéticiens.

Évidemment, la Terre ne reçoit qu'une fraction infime de cette puissance dont la majorité se perd dans l'espace... En supposant que le soleil rayonne de façon homogène dans toutes les directions, la Terre qui est située en moyenne à 149,6 millions de kilomètres et possède un rayon de 6371km, reçoit :
Calcul du rayonnement solaire reçu par la Terre
La Terre ne reçoit donc "que" 174 petawatts (174 millions de gigawatts) du soleil.

On peut en déduire le rayonnement solaire reçu par unité de surface terrestre :
Calcul de la puissance reçue du soleil par mètre carré de surface terrestre
Comme on dispose désormais de satellites capables de mesurer le rayonnement solaire reçu au sommet l'atmosphère, on peut s'assurer que le soleil a bien un comportement proche de celui d'un corps noir et que ces résultats sont à peu près valides.
Voici la comparaison entre le spectre théorique d'un corps de 5777K et le rayonnement solaire mesuré :
Comparaison du rayonnement réel du soleil avec le spectre d'un corps noir de 5777K 
(Source : By Sch [GFDL or CC-BY-SA-3.0], via Wikimedia Commons)

Notez que sur ce graphe le flux est de 1367Wm-2 parce qu'il s'agit de la puissance reçue par unité de surface vu du soleil (πr2) et non par unité de surface terrestre (4πr2).


L'équilibre thermique terrestre


Que se passe-t-il lorsque notre planète reçoit ce rayonnement ? Une partie est reflétée directement vers l'espace, surtout par les surfaces claires comme le sommet des nuages, les zones enneigées ou les déserts, le reste est absorbé.
Lorsqu'elle absorbe ce rayonnement la Terre gagne en énergie et se réchauffe. Elle rayonne donc à son tour ce qui lui permet de perdre de l'énergie. Pour que la température se stabilise, il faut que la Terre rayonne exactement la même puissance que celle qu'elle absorbe : si elle rayonne plus elle perd en énergie et se refroidit, si elle rayonne moins elle gagne en énergie et se réchauffe.

Au passage, pourquoi percevons-nous le rayonnement solaire mais pas le rayonnement terrestre ? Parce qu'étant beaucoup plus froide la Terre rayonne dans une gamme de fréquences beaucoup plus basse que celle du soleil (voir la loi de Wien). Son rayonnement se situe dans l'infrarouge, en dessous des fréquences que notre œil peut voir.

Revenons à nos moutons : nous avons calculé plus haut la puissance reçue par la Terre par mètre carré. Si on appelle A l'albédo, c'est-à-dire la proportion du rayonnement qui est reflétée sans absorption, on peut en déduire la puissance absorbée par unité de surface : comme l'albédo terrestre est de l'ordre de 0.3, la puissance absorbée est d'environ 238Wm-2.
Par ailleurs, la loi de Stefan-Boltzmann nous donne la puissance rayonnée par unité de surface.

Supposons que les autres sources d'énergies (rayonnement reçu d'autres astres, géothermie...) sont négligeables. Pour que la Terre soit en équilibre thermique, il faut que la puissance du rayonnement solaire absorbé soit égale à la puissance rayonnée par la Terre, donc :
Formule donnant la température moyenne théorique de la terre
Cette formule permet de calculer la température moyenne théorique de la terre :
Calcul de la température moyenne théorique de la terre en équilibre thermique
On obtient environ 255 degrés Kelvin, soit -18°C.

L’atmosphère entre en scène


Et c'est là qu'on tombe sur un os : même sans mesure précise, nous savons bien que la température moyenne de la Terre n'est pas -18°C mais plutôt autour de 15°C.
Cet écart est peut-être relativement faible sur l'échelle des températures manipulées en astronomie ou en physique mais très significatif du point de vue biologique : la vie n'aurait sans doute pas pu se développer comme elle l'a fait sur une planète dont la température ne permet pas la présence d'eau liquide en grande quantité.

C'est cet écart que Fourier tente d'expliquer lorsqu'il donne la première description de l'effet de serre en 1824. Comme il l'a deviné, l'erreur est simple : nous avons supposé que que la surface de la Terre se trouve sous nos pieds. Mais vu de l'espace, ce n'est pas le cas : elle se trouve au-dessus de nos têtes, à la limite de l'atmosphère. C'est cette fine pellicule de gaz (si la Terre était une orange, l'atmosphère aurait environ 0.1mm d'épaisseur) qui explique la différence.

En effet, l'air qui nous entoure n'est pas du tout transparent pour le rayonnement, qu'il soit émis par la surface terrestre ou reçu du soleil. L'atmosphère, ou au moins certaines de ses composantes, reflètent, diffusent ou absorbent puis réémettent... La preuve, c'est que nous voyons le ciel bleu et le soleil jaune voire rouge alors que l'espace est noir et le soleil blanc.
Je ne vais pas rentrer dans les détails, ce n'est pas l'objet de cet article, mais le schéma suivant (basé sur le 5e rapport du GIEC) présente de façon simplifiée les échanges d'énergie entre le soleil, l'atmosphère et la surface terrestre :
Schéma des échanges d'énergie entre le soleil, l'atmosphère et la surface terrestre

Ces échanges d'énergie sont largement dépendants des propriétés d'absorption des gaz contenus dans l'air. Seule une fraction du rayonnement solaire émis par la surface parvient à rejoindre l'espace, le reste est absorbé par l'atmosphère qui à son tour rayonne. Une partie de ce rayonnement s'échappe vers l'espace mais une proportion importante est retournée à la surface et réabsorbé. La surface s'échauffe alors ce qui augmente la puissance qu'elle rayonne, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'un nouvel équilibre s'établisse.

On voit sur le schéma précédent que l'équilibre est atteint lorsque la surface terrestre rayonne au total 398Wm-2 et non 238Wm-2, comme elle le ferait sans atmosphère. En appliquant la loi de Stefan-Boltzmann avec cette nouvelle valeur on retrouve bien une température moyenne de 289K, soit 16°C. CQFD


Publié le 27 juillet 2017 par Thibault Laconde


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2 commentaires :

  1. Remarque sur le schéma ci-dessus : les chiffres ne semblent pas "bien coller". Logiquement l'atmosphère d'une part, et le sol d'autre part devraient émettre autant d'énergie qu'ils en reçoivent, or cela ne correspond pas tout à fait, si j'ai bien compté.
    Globalement la Terre reçoit du Soleil (340 - 100) = 240 W/m² et émet 180 + 40 = 220 W/m²

    Dans l'article de Wikipédia (Bilan radiatif de la Terre) l'équilibre est bien respecté

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    1. Effectivement, il y a une erreur. Merci de me l'avoir signalé.

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