Fourier : l'invention de l'effet de serre

Autant le dire tout de suite : Joseph Fourier, dont nous allons parler aujourd'hui, est à mon avis un homme trop méconnu. Par la portée de ses travaux comme par son parcours extraordinaire, il mériterait largement sa place entre Marie Curie et Louis Pasteur parmi les icônes scientifiques françaises. A quelques mois du 250e anniversaire de sa naissance, cet article sera donc aussi l'occasion de lui rendre justice.


Orphelin, révolutionnaire, baron d'Empire...


Rien ne semble prédestiner le jeune Jean-Baptiste-Joseph Fourier à un avenir brillant : lorsqu'il voit le jour à Auxerre en 1768, il est le 19e enfant d'une famille d'artisans pauvres, et il perd ses deux parents avant 10 ans.
Pourtant son application et la protection de quelques notables locaux permettent au jeune orphelin de poursuivre ses études. De nombreuses anecdotes circulent : Fourier étudiant la nuit à la lueur de bouts de chandelles ramassés dans la journée, Fourier se cachant dans l'armoire de la salle d'étude pour y rester après les heures réglementaires... En tout cas, il se fait vite remarquer au point qu'un collège l'accepte gratuitement comme pensionnaire.

Le jeune garçon se destine alors à une carrière dans l'artillerie ou le génie, mais n'ayant ni titre ni fortune sa candidature est refusée malgré de solides appuis.
Fourier choisit de se tourner vers... les bénédictins. Le virage peut sembler brutal mais l'ordre de Saint-Benoit tenait à l'époque 6 des 12 écoles militaires françaises et passait pour la frange la plus éclairée du clergé. C'est donc là que Fourier commence sa carrière en enseignant les mathématiques d'abord à l'école militaire d'Auxerre puis à l'abbaye de Fleury. Dès 1787, âgé de moins de 20 ans, il se rend à Paris pour présenter à l'Académie des Sciences un mémoire sur les équations algébriques, ce qui lui vaut l'attention de Monge, Lagrange et Laplace.

Joseph Fourier a découvert l'effet de serre en 1824
En 1789, peu après le début de la Révolution, il refuse finalement d'entrer dans les ordres. Revenu dans sa ville natale, il continue à enseigner tout en s'intéressant de plus en plus à l'effervescence politique de l'époque. En 1793, il rejoint même le comité révolutionnaire d'Auxerre.
Mais la période n'est pas favorable aux esprits rationnels. Chargé de réquisitionner des récoltes dans le Loiret, Fourier a le tort de s'acquitter de sa mission avec un peu trop de mesure. Dénoncé au comité de salut public, il est mis hors la loi et contraint de se cacher.
La fin de la Terreur lui permet de reparaitre au grand jour l'année suivante et de faire partie des premiers étudiants de l'École normale à sa création en 1795. Lorsque celle-ci ferme quelques mois plus tard, il devient l'assistant de Lagrange à Polytechnique - une autre création récente. C'est aussi à cette époque qu'il est présenté à Bonaparte.

Fourier fait partie des savants qui, en 1798, accompagnent l'expédition en Égypte. Il participe à la fondation de l'Institut d’Égypte, dont il est le premier secrétaire, puis joue un rôle actif auprès du général Kléber, qui assure le commandement de l'expédition après le départ de Bonaparte en 1799. Lui même ne revient en France qu'en 1801.
A son retour, il est nommé préfet de l'Isère par le premier consul. Il occupe ce poste pendant près de 14 ans, s'illustrant par des travaux publics, l’asséchement des marais ou encore la création de l'université de Grenoble.
Il est maintenu en place par Louis XVIII et, en 1815, il s'oppose au retour de Napoléon. Curieusement promu préfet de Lyon, il n'échappe pas à l'épuration de l'administration pendant les Cent-Jours. Sa révocation met définitivement fin à sa carrière administrative : Fourier s'installe à Paris où il reprend enfin le fil de ses recherches. Il va le faire avec de tels résultats qu'on ne peut pas songer sans un peu de mélancolie à ce qu'aurait été sa carrière scientifique s'il avait pu s'y consacrer pleinement.

En 1822, il publie son opus magnus : la Théorie analytique de la chaleur. C'est l'acte de naissance de la thermodynamique : Fourier s'intéresse à la chaleur et aux différences de températures depuis son passage en Égypte, avec cet ouvrage il en fait une branche nouvelle de la physique. Et comme si ça ne suffisait pas, il y introduit aussi la transformée de Fourier, un outil mathématique révolutionnaire, devenu incontournable dans toutes les sciences qui font appel à l'étude de signaux depuis l'électromagnétisme et l'acoustique jusqu'à la sismologie.

Élu secrétaire perpétuel pour les mathématiques à l'Académie des Sciences, il y fait entrer la première femme : la mathématicienne Sophie Germain. Dans les années 1820, il devient aussi membre de l'Académie française et de la Royal Society. 

Joseph Fourier, dont la santé était fragile depuis son séjour en Égypte, s'éteint en 1830, à seulement 62 ans.


Comment Fourier a inventé l'effet de serre


La contribution de Fourier à l'émergence de la climatologie est à la mesure de l'homme : il s'est intéressé au sujet presque par accident mais cela suffit à en faire le scientifique le plus important dans le domaine au moins jusqu'à Arrhenius et probablement jusqu'à l'époque contemporaine.

En 1824, deux ans après la Théorie analytique de la chaleur, il a l'idée d'appliquer ses conclusions à la Terre et en tire des Remarques générales sur les températures du globe terrestre et des espaces planétaires (disponibles ici).
Dans cet article, Fourier explique que notre planète reçoit de l'énergie du soleil sous forme de "chaleur lumineuse" et rayonne à son tour vers l'espace de la "chaleur obscure" (c'est-à-dire de rayonnement infrarouge). Pour qu'elle soit en équilibre thermique, le rayonnement reçu du soleil doit être égal à celui renvoyé vers l'espace : "la Terre rend aux espaces célestes toute la chaleur qu'elle reçoit du soleil".
Mais quelque chose ne colle pas : ce bilan énergétique de la planète conduirait à un climat beaucoup plus froid et à des écarts de température beaucoup plus importants que ceux que nous connaissons. "Il existe, écrit donc Fourier, une cause physique toujours présente qui modère les températures à la surface du globe terrestre et donne à cette planète une chaleur fondamentale indépendante de l'action du soleil, et de la chaleur propre que sa masse intérieure a conservé." 

Fourier explore plusieurs théories pour expliquer ce phénomène. Parmi celles-ci, il donne la première description de ce que nous appelons aujourd'hui l'effet de serre : "la température est augmentée par l’interposition de l’atmosphère, parce que la chaleur trouve moins d’obstacle pour pénétrer l’air, étant à l’état de lumière, qu’elle n’en trouve pour repasser dans l’air lorsqu’elle est convertie en chaleur obscure". Fourier compare cet effet à l'héliothermomètre inventé par Saussure quelques années plus tôt.
Cette proposition est d'autant plus remarquable qu'elle va à l'encontre des opinions de l'époque. D'abord parce que la plupart des savants considèrent alors que les gaz sont diathermiques, c'est-à-dire transparents pour la chaleur. Ensuite parce qu'elle conduit à réfuter directement la thèse de Buffon sur le refroidissement des planètes : "la déperdition continuelle de la chaleur propre ne peut occasionner aucun refroidissement du climat" tranche Fourier.

En 1838, le physicien Claude Pouillet reprend ces travaux et affine la théorie de Fourier. Il suppose notamment que ce n'est pas l'atmosphère dans son ensemble qui a la capacité à intercepter le rayonnement infrarouge terrestre mais seulement certains gaz dont la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone.

Les calculs de Fourier restent assez sommaires et certaines de ses intuitions se sont révélées fausses mais l'article vaut surtout par son raisonnement qui, lui, est parfaitement exact. Si le détail de cette démonstration vous intéresse, je l'ai expliqué ici.
En quelques pages, il y a presque 200 ans, Fourier a jeté les bases pour comprendre le réchauffement actuel de la planète. Mais il ne s'agit encore que d'une théorie... Peut-on la démontrer expérimentalement ? Et qui y parviendra le premier ? C'est ce que nous verrons dans le prochains épisode.

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Aventuriers, rêveurs, révolutionnaires... du XVIIIe siècle au début du XXe, l'histoire scientifique du climat a été écrite par des personnalités hautes en couleur. Retrouvez ici l'histoire des autres pionniers de la discipline :
  1. Montesquieu : l'Esprit des lois et la théorie des climats
  2. Buffon : refroidissement climatique et géoingénierie avant l'heure
  3. Saussure : l'aube de la paléoclimatologie
  4. Fourier : l'invention de l'effet de serre
  5. Foote : la démonstration de l'effet de serre à la portée de tous
  6. Tyndall : la première spectroscopie des gaz à effet de serre
  7. Arrhenius, Hogböm et Ekholm : le clan des suédois
  8. Milankovitch : la solution à l'égnime de l'âge de glace
  9. Callendar : l'homme qui a vu le réchauffement

Publié le 25 juillet 2017 par Thibault Laconde


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1 commentaire :

  1. Bonjour Thibault, merci pour tout vos articles sur les pionniers de la climatologie, grâce a vous je peux voir beaucoup plus clair sur le sujet. Cordialement

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