Note aux haters de la transition énergétique allemande

En 2000, l'Allemagne a décidé de se passer d'énergie nucléaire et s'est donné deux décennies pour y parvenir. Depuis la part de l'atome dans le mix électrique allemand est tombée de 29.5% à 13.1% tandis que les renouvelables bondissaient pour atteindre à 29.5%. Les énergies fossiles quant à elles ont reculé de 7 points (contre 1 en moyenne dans l'OCDE et 3, par exemple, aux États-Unis). Dans le même temps, le prix de gros de l'électricité a baissé et l'Allemagne qui devait acheter du courant en 2000 est devenue la première exportatrice européenne.
Revers de la médaille : la part du charbon reste élevée - avec de graves conséquences environnementales, les politiques de soutien aux renouvelables tâtonnent et les coûts sont supportés, via une taxe, par les ménages qui payent leurs kWh presque deux fois plus chers que les français. Reste que l'Energiewende est probablement la politique énergétique la plus ambitieuse depuis un quart de siècle et qu'il a jusqu'à présent atteint ses objectifs.


Pourquoi tant de haine ?


Pourquoi tant de français critiquent-ils la sortie du nucléaire allemande ?
Et pourtant, la transition énergétique allemande n'en finit pas de susciter des débats enflammés. Aucun des sujets que je traite n'attire autant de réponses et de commentaires, parfois très virulents.
C'est d'autant plus embêtant que la loi de Godwin semble avoir un corollaire pour l'Energiewende : "plus une discussion sur l'énergie dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant l'Allemagne s’approche de 1". Beaucoup trop d'échanges dérivent ainsi vers la transition énergétique allemande et se terminent sur des empoignades qui n'ont pas grand chose à voir avec le sujet initial.
 
Au sein de la communauté française qui s'intéresse au climat et à l'énergie, il y a manifestement quelques personnes irréconciliables avec la politique énergétique allemande. Et ils se montrent très actifs pour interpeller ceux qui ne partagent pas leur abhoration pour tout ce qui se fait outre-Rhin. Pas plus tard que ce matin, un tweet sur une étude allemande sans lien direct avec la sortie du nucléaire m'a ainsi valu une bonne cinquantaine de réponses...
En soi, ça ne me pose pas vraiment de problème du moment que le ton reste courtois (ce qui est généralement le cas). C'est la répétition incessante des mêmes arguments qui est vite fatigante. Cet article vaut donc réponse collective.


L'Allemagne n'a pas fait le choix du charbon contre le nucléaire


Ces critiques reposent presque toujours sur la même supposition : elles semblent croire qu'en 2000 l'Allemagne avait le choix entre sortir du nucléaire ou sortir charbon. Les allemands auraient alors cédé à une peur irrationnelle et décidé d'abandonner le nucléaire plutôt que le charbon, dont l'utilisation aggrave pourtant le risque d'une catastrophe climatique.

Cette représentation n'est pas seulement une réécriture de l'histoire, elle dénote une grave incompréhension de ce qu'est une politique énergétique : une politique énergétique, c'est d'abord un choix de société qui nécessite un certain consensus. On peut combler des lacunes industrielles, inventer des solutions techniques ou faire des arbitrages économiques, mais sans un minimum d'accord au sein de la population, des collectivités, des entreprises et des administrations une politique énergétique n'est qu'une déclaration d'intention. L'épisode de Fessenheim en France en est un bel exemple.

En 2000, l'Allemagne ne pouvait pas décider de sortir du charbon. Même si techniquement, industriellement et économiquement ce choix aurait été aussi viable que la sortie du nucléaire, politiquement le consensus n'existait pas. Le poids économique du charbon en particulier dans les länder défavorisés de l'est rendait cette politique impossible. C'est toujours le cas aujourd'hui :  beaucoup de travail a été fait et une fin du charbon n'est plus taboue mais il faut d'abord trouver des solutions économiques pour l'ex-RDA.
En 2000, l'Allemagne n'a pas choisi la sortie du nucléaire contre la sortie du charbon, cette alternative n'existe que dans la tête de ceux qui veulent la critiquer. Les allemands n'avaient le choix qu'entre la sortie du nucléaire et le statu-quo.


Même mal inspiré, l'Energiewende a ouvert la voie


On peut éventuellement contester leur choix. Ce serait à mon avis une perte de temps : l'aversion des allemands pour le nucléaire est issue de leur histoire très particulière, nous n'avons pas forcément à la partager mais ce n'est pas non plus à nous de leur dicter la conduite à suivre. Encore une fois, une politique énergétique est avant tout un choix de société, elle découle de préférences subjectives, propres à chaque époque ou chaque population. Rien ne prouve que notre vision des choses soit supérieure à celle de nos voisins.

Il me semble cependant que nous pourrions nous entendre sur au moins un mérite de la transition énergétique allemande : elle a ouvert la voie. Lorsque j'étais étudiant à Supélec on nous apprenait qu'aucun réseau électrique ne pourrait supporter plus de 2% d'énergies intermittentes. Une dizaine d'années plus tard, le solaire et l'éolien représentent presque un tiers du mix électrique allemand avec parfois des incursions jusqu'à 80%...
Les allemands ont démontré par la pratique qu'un grand pays industriel peut dépendre massivement d'énergies renouvelables sans que ni son réseau électrique ni son économie ne s'effondrent. Je ne suis pas certain que la Chine, par exemple, investirait dans les renouvelables comme elle le fait aujourd'hui si l'Allemagne n'était pas passée en premier.

Le développement des énergies renouvelables n'a pas permis aux allemands de baisser significativement leur consommation de charbon - politiquement ils ne le pouvaient pas. Mais elle a montré au reste de la planète comment s'y prendre. Au lieu de perdre notre temps à questionner un choix qui ne nous appartient pas, nous ferions mieux d'essayer d'en apprendre quelque chose pour résoudre nos propres problèmes.


Publié le 21 février 2017 par Thibault Laconde

Illustration : By Crux (Own work) [CC BY-SA 2.5], via Wikimedia Commons


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14 commentaires :

  1. Allez, juste un pour rigoler: il ne s'agit pas de "charbon contre nucléaire". Mais de "EnR contre nucléaire", au lieu de "EnR contre charbon" qui aurait été grandement plus efficace pour le climat. Ca ne me parait pas trop compliqué pourtant :/

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  2. Oui. La transition énergétique que certains confondent avec antinucléarisme primaire placerait tous les agnostiques énergétiques dans le camp des méchants, de la haine ? Curieuse thèse, sans l'ombre d'un scénario solide pour justifier qu'on peut sortir du nucléaire et sauver le climat, la précarité énergétique et l'air pur en Europe. Curieux que le CO2 et le facteur 4 laisse froid juste parce que le tabou électronuc bloque le cerveau. PS: Il y a une petite coquille (N'avez). Les littéraires vivent sans science et cela ne les empêchent pas de dormir ;-)

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  3. Bonjour,
    Selon moi, l'Energiewende est largement présenté comme un modèle de référence pour la transition énergétique, alors que c'est un échec économique, social et environnemental.
    Certes l'Allemagne est sorti du nucléaire, certes l'Allemagne a massivement développé les énergies renouvelables, mais l'Allemagne a aussi condamné E.ON, fragilisé la stabilité du système électrique à un point tel que l'Europe entière s'en inquiète, augmenté son nombre de précaires énergétiques, et accessoirement n’a pas du tout réduit ses émissions de gaz à effet de serre.
    Je ne suis pas un « haineux » de l’Energiewende, je constate simplement que cette politique a échoué, et le gouvernement allemand le reconnait, à lutter efficacement contre le changement climatique. Rappelons que la France dispose de son propre Energiewende : le scénario « Facteur 4 » de l’Ademe. Mieux vaut chercher à le mettre en œuvre que de récupérer les stratégies hasardeuses de nos voisins.

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  4. Attention, la stabilité du réseau en Allemagne comptée en terme de nombre de minute par an de coupure reste excellente. D'ici à dire que c'est grâce aux renouvelables, il y a un pas un peu osé à franchir. En fait l'Allemagne est aidée à la fois par par sa densité de population supérieure à la France *et* par son aménagement de territoire très équilibré, chaque région ayant sa métropole locale. Il n'y a donc contrairement à nous aucune grande zone de désert démographique, pas de péninsule électrique mal raccordée, et un montant très important sur la facture électrique consacré à l'entretien du réseau. Avec tout cela le résultat peut être très bon, même si comme l'ont montré plusieurs reportages, les gestionnaires de réseau doivent aujourd'hui multiplier les interventions pour conserver l'équilibre du réseau à chaque pic de production des renouvelables.

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    1. Un point quand même à ajouter quand à la stabilité du réseau, c'est que malgré tout les lignes de connexions entre le nord et le sud du pays ainsi qu'avec l'Autriche sont régulièrement saturées, et la Pologne et la Tchéquie qui servent de raccourcis électrique gratuit apprécient de moins en moins.

      La vrai solution ce serait d'avoir plusieurs zones de prix entre le nord et le sud de l'Allemagne et avec l'Autriche, du coup un producteur du nord de l'Allemagne qui veut vendre en Autriche devrait s'assurer qu'il dispose de la capacité de transport donc réserver des capacités sur les lignes inter-zones, et pourrait parfaitement passer par la Pologne ou la Tchéquie mais devrait les payer pour cela, au lieu de le faire gratuit. Ce système n'aurait rien de particulièrement exotique car c'est ainsi que fonctionnent l'Italie et la Suède, avec plusieurs zones intra-nationales. Resterait à trancher sur l'emplacement où séparer les zones, à première vu cela peut paraitre facile car il y a plusieurs gestionnaires de réseau différents en Allemagne et un autre en Autriche, mais juste fixer la limite entre ceux-ci aurait l'inconvénient que E.ON couvre une grande bande du nord au sud, donc il vaut peut-être mieux séparer en deux le territoire de E.ON.

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    2. La stabilité du réseau est en train de devenir le vrai problème, même si pour l'instant, du fait du niveau élevé de redondance le nombre de coupures n'a pas évolué. Ces problèmes de stabilité du réseau se traduisent par des coûts en très forte augmentation dont on a une idée dans le dernier rapport de la Bundesnetzagentur en page 7. Les actions de "redispatch" ont triplé par rapport à l'année précédente et coûté 412 M€. Les actions de "einspeise management" ont également triplé à 315 M€ ... Ces dépenses se retrouvent dans le poste "réseau" et non dans les "aides aux ENRs). Le réseau tient encore, mais ça coûte toujours plus cher !

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  5. Ces critiques de l'Energiewende montrent que certains n'ont pas encore compris qu'une transition énergétique est en cours un peu partout dans le monde.
    Ce n'est pas qu'une question de moyens de production, c'est aussi une question de consommation, de distribution et de stockage.
    Quand l'Allemagne a démarré sa transition, les moyens techniques pour faire les smart grids n'existaient pas. Aujourd'hui ces moyens existent, et d'ailleurs l'Allemagne tente de corriger le tir en favorisant le stockage pour résoudre ses problèmes de transport et d'intermittence. En champion industriel, elle va y arriver et elle servira d'exemple.
    Et le jour où l'accident nucléaire se produira en France, on regrettera de ne pas avoir engagé la transition énergétique plus tôt.

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    1. tout a fait, et, n'oublions pas que l'Allemagne ne bénéficie pas, comme la France de plus de 10% d'énergie hydraulique dont plus de 5% de stockable.
      le scénario d'un accident majeur comme Fukishima en France et tout simplement monstrueux, indépendamment des dégâts sur l'environnement le pays serait en situation de faillie, les principales ressources de la balance extérieure seraient irrémédiablement perdus : Tourisme, agriculture .....

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  6. "ême si techniquement, industriellement et économiquement ce choix aurait été aussi viable que la sortie du nucléaire, politiquement le consensus n'existait pas."
    C'est bien là le problème, on reproche aux politiques allemands de ne pas avoir compris que l'urgent est la fin du charbon.

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  7. " Lorsque j'étais étudiant à Supélec on nous apprenait qu'aucun réseau électrique ne pourrait supporter plus de 2% d'énergies intermittentes."
    Qui vous a enseigné ça ?

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  8. "Mais l'Allemagne a montré au reste de la planète comment s'y prendre. " .
    Ah bon? Comment s'y prendre pour quoi? pour baisser les émissions de cO2, oui ça baisse légèrement mais de là à prendre l'Allemagne pour modèle...

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  9. "Les allemands ont démontré par la pratique qu'un grand pays industriel peut dépendre massivement d'énergies renouvelables sans que ni son réseau électrique ni son économie ne s'effondrent. "

    Les renouvelables, est-ce un but ou un moyen? Le résultat sur les émissions polluantes est-il satisfaisant?

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  10. " Dans le même temps, le prix de gros de l'électricité a baissé et l'Allemagne qui devait acheter du courant en 2000 est devenue la première exportatrice européenne. "
    Forcément, quand le vent souffle fort l'abondance d'électricité par forcément utile à ce moment là fait chuter les prix et augmenter les exportations. Mais quand le vent ne souffle pas, les importations et les centrales pilotables restent nécessaires. D'ailleurs la puissance pilotable installée n'a quasi pas baissé tandis que la puissance totale a quasi doublé. Plus d'installations pour une même consommation, c'est forcément un surcout. Le prix de gros baisse, mais pas celui supporté par la collectivité; Bon admettons , c'est le prix à payer pour moins faire fonctionner les centrales à charbon polluantes. Mais ce modèle est-il généralisable et extensible ? A force on ne trouvera plus personne pour acheter l'électricité durant les périodes de fort vent. D'ailleurs il arrive que l'électricité s'échange à prix négatif, preuve que la production ne répond pas au besoin.

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  11. Merci pour ce blog très intéressant. Ma contribution au sujet pourrait également vous intéresser https://www.energy-alternatives.eu/2021/04/10/france-allemagne.html
    Cordialement
    Robin

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