Prolongation des centrales nucléaires : regardons la situation en face

La fermeture de Fessenheim, première étape du retrait de la majorité des réacteurs nucléaires en France
Fin février, la ministre de l'environnement, Ségolène Royal s'est dites prête à prolonger de 10 ans la durée de vie des centrales nucléaires françaises. Celles-ci conçues à l'origine pour durer 30 ans et déjà prolongées de 10 ans dans les années 2000 pourraient donc fonctionner jusqu'à leur cinquantième anniversaire. Quelques jours auparavant, Jean Bernard Levy, le PDG d'EDF, était allé plus loin en évoquant même une prolongation jusqu'à 60 ans.
Comme on pouvait s'y attendre, cette annonce a été suivie d'un débat sur lequel je ne reviens pas, j'en ai déjà dit l'essentiel ailleurs.

Maintenant que la poussière commence à retomber, si nous en profitions pour prendre un peu de recul ?


Le sujet ce n'est pas le nucléaire, c'est l'avenir de l'électricité française


La discussion sur l'allongement de la durée de vie des centrales est souvent confondue avec un débat pour ou contre le nucléaire. C'est une erreur : on peut très bien vouloir fermer les anciens réacteurs pour en ouvrir de nouveaux, ou bien défendre simultanément la prolongation des centrales nucléaires et le rééquilibrage du mix électrique français - c'est du moins la position du gouvernement.
Cette confusion conduit aux empoignades habituelles dès que l'on parle de nucléaire et occulte le vrai problème : le système électrique français est en fin de cycle et personne ne semble se préoccuper de ce qui viendra après.

En 1974, avec le plan Messmer, la France s'est lancée résolument dans l'énergie nucléaire. Dans les années 80, des dizaines de réacteurs ont été raccordés au réseau : le nucléaire, qui représentait un quart de notre mix électrique en 1980, a bondi jusqu'à 75% en moins d'une décennie. S'équiper aussi vite comportait un écueil qui aurait pu être prévu dès cette époque : les centrales nucléaire françaises vont toutes arriver en fin de vie simultanément.
C'est exactement là que nous en sommes : sans prolongation, 34 réacteurs sur 58 devront avoir fermé en 2025, soit plus de la moitié de la puissance installée... Nous nous trouvons face à un véritable mur !

Fermer les centrales nucléaires françaises à 40 ans = retirer la moitié de la puissance disponible avant 2025

Que peut-on faire ? Quelques calculs de coin de table...


Prolonger la durée de vie des centrales ne ferait évidemment que reculer l'échéance mais peut-on l'éviter ? "Impossible n'est pas français" alors on va essayer de se passer de ce mot, même si ça demandera quelques efforts...

D'abord j'en entends, au fond, qui disent qu'on peut très bien remplacer le nucléaire par des renouvelables et que, la preuve, c'est que les allemands sont en train de le faire.
C'est vrai pour l'Allemagne mais en France nous ne sommes pas sur les mêmes ordres de grandeurs. Pour vous en convaincre comparons aux mêmes échelles la "sortie du nucléaire" allemande à l’arrêt des centrales françaises après 40 ans :

La "sortie du nucléaire" allemande est une transition lente comparée au retrait des centrales françaises

La transition énergétique  allemande consiste à retirer 21.5GW de nucléaire entre 2000 et 2022 dont moins d'un gigawatt pendant les 10 première années. Si nous prenions aujourd'hui la décision de ne pas prolonger nos centrales nucléaires, nous devrions retirer 57.1GW en 22 ans dont 31.6 pendant les 10 premières années.
Il faudrait donc faire, entre 2016 et 2038, plus du double de ce que les allemands sont en train de faire entre 2000 et 2022, et surtout il faudrait démarrer trente fois plus vite qu'eux...

A ce stade, j'ai déjà très envie d'écrire "impossible". Mais continuons...

Réfléchissons sur les 10 prochaines années. Pour commencer, admettons que nous parvenions à diminuer de 10% notre consommation d'électricité pendant cette période (alors qu'elle a stagné pendant la décennie précédente), nous économiserions environ 50TWh. Imaginons de plus que nous réduisions à zéro nos exportations d'électricité, soit une économie de 60TWh supplémentaires. Ces 110TWh représentent à peu près la production de 15GW de centrales nucléaires (avec un facteur de charge de 80%).
Il nous resterait donc encore 15GW de nouvelles capacités à construire avant 2025, cela peut représenter au choix :
  • Une dizaine d'EPR,
  • Deux ou trois nouvelles grosses centrales à gaz ou à charbon par an (25 tranches de 600MW),
  • Une multiplication par 5 en 10 ans du parc éolien français (soit l'installation de 24000 éoliennes terrestres de 2MW avec une facteur de charge de 25% en négligeant les questions d'intermittence).
L'option EPR peut être écartée d'emblée : vu l'expérience de Flamanville, jamais nous ne parviendrons à faire sortir de terre un réacteur par an entre aujourd'hui et 2025. Les deux autres (ou plus vraisemblablement un mix des deux : gaz/renouvelables) ne sont pas totalement irréalistes techniquement mais représenteraient un des projets les plus ambitieux jamais conduit en France.


La question n'est plus "Allons-nous prolonger nos centrales nucléaires ?"


La perspective peut sembler enthousiasmante mais elle ne serait pas indolore pour le contribuable et l'abonné. Et de toute façon, aucune des conditions qui nous permettraient d'aborder sereinement une telle transformation ne sont réunies :
  • Du coté des conditions politiques : une transition énergétique demande une forte impulsion. De plus comme elle dure des décennies et se déroule généralement sur plusieurs alternances, s'il n'y a pas de consensus au sein de la population et entre les principales formations politiques, il est impossible de la mener à bien.
  • Conditions économiques : renouveler un mix électrique coûte cher, pour y parvenir il faut disposer d'excédents ou être en mesure de s'endetter. Ni l’État ni les grands acteurs de l'énergie en France ne semblent en mesure de financer un tel projet. Au contraire, EDF compte sur une prolongation comptable (la capacité d'amortir ses centrales sur un temps plus long) pour se renflouer.
  • Conditions technologiques : quelle que soit l'orientation choisie, la France n'a plus de savoir-faire : Areva (paix à son âme) et EDF semblent incapables de terminer un réacteur, l'activité centrale électrique d'Alstom a été vendue à l'étranger et malgré quelques belles entreprises intermédiaires c'est le vide qui domine du coté des nouvelles énergies.
C'est pour ces raisons que les centrales nucléaires vont probablement être prolongées de 10 ans : pas parce qu'il n'y a pas d'alternative ou parce que le nucléaire est la meilleure solution mais parce que 20 ans d'imprévoyance de nos responsables économiques et politiques ont rendu la prolongation du nucléaire inévitable.
La situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement était prévisible. Pour y faire face, y compris pour renouveler le parc nucléaire français si cela avait été l'option retenue, il aurait fallu des décisions d'investissement dans les années 2000, au moment où nos voisins européens se mettaient en mouvement et où la durée de vie des centrales était prolongée de 30 à 40 ans...


... Mais "Comment éviter que ça se reproduise dans 10 ans ?"


Ce qui importe maintenant c'est d'éviter de se retrouver dans la même situation en 2025 avec des centrales qui approchent de 50 ans et aucun autre plan que de les prolonger jusqu'à 60. Ce petit jeu ne peut pas durer éternellement...
C'est le bon moment : le feuilleton de Fessenheim va sans doute faire de l'énergie un thème des campagne présidentielles et législatives en 2017, le vainqueur aura la légitimité nécessaire pour lancer de grands chantiers et si, comme c'est très probable, les réacteurs français sont prolongés jusqu'à 50 ans, il aura 10 ans devant lui pour le mener à bien.
Reste à savoir s'il se trouvera dans la classe politique françaises des personnes à la hauteur du défi.


Publié le 7 mars 2016 par Thibault Laconde
Illustration : By Florival fr (Own work) [CC BY-SA 3.0 or GFDL], via Wikimedia Commons


Vous avez aimé cet article ? N'en ratez aucun en vous inscrivant à la newsletter mensuelle.


11 commentaires :

  1. Non, multiplier par 5 le parc éolien n'est *pas* une solution à l'effet de falaise décrit plus haut.

    Si je regarde au cours des 2 dernières semaines, le point bas de production éolien c'est une période de 48h les 24/25 février à environ 1 GW de production, qui deviendraient alors 5 GW (les autres points bas ayant été courts, et peuvent peut-être d'ici 2025 être compensé en jouant sur la demande ou stockage). Sur le graphique, d'ici 2025 le parc descend à 30GW, soit environ 33GW perdus, donc dans les mêmes conditions pendant 2 jours il manque 28 GW.

    Le scénario parc éolien multiplié par 5, c'est donc parc éolien multiplié par 5 *plus* la construction d'autre chose pour remplacer au moins 80% de la capacité nucléaire perdue par un moyen disponible de manière fiable.

    De manière réaliste, vu le peu d'expérience français dans la construction de centrales charbon modernes et les difficulté qu'on vu les chantiers allemands récents tous retardé de quelques années par rapport au planning prévu, il faudrait que ce soit des centrales gaz. Ca ferait une sacré dépendance au gaz.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ce que j'écris au paragraphe suivant : si on suit le planning de fermeture des centrales, on va sans doute se retrouver avec du gaz et des renouvelables dans une proportion qui exprime l'attachement des politiques aux engagements climatiques.

      D'ailleurs, si je devais parier, je dirais que dans tous les cas, même si les centrales sont prolongées jusqu'à 50 ou 60 ans, la France aura un mix gaz/renouvelables au milieu du siècle.

      Supprimer
    2. S'il faut que je fasse un calcul détaillé pour convaincre je le ferais, mais un mix gaz/éolien ou gaz/éolien/solaire (plus le niveau actuellement disponible d'hydraulique), cela signifie nettement plus d'émission CO2 qu'aujourd'hui. Cela se voit bien à travers les scénarios nouveaux mix de RTE dans lesquels malgré des objectifs ambitieux sur l'éolien et le solaire, le CO2 augmente.
      C'est donc très loin de nos engagements climatiques de réduction.

      L'augmentation du prix du nucléaire n'est pas une fatalité (ceux qui le décrivent comme un fait immuable confondent peut-être avec leurs plus chers désirs), même si la construction d'un nouveau modèle rencontre toujours des difficultés, le coût est maitrisé en Chine (qui a suffisamment confiance dans les AP1000 pour avoir décidé de se lancer en masse dedans, contrairement à l'EPR où ils arrêtent les frais après les 2 premiers) et dans ceux construit par les coréens, le Japon aussi a construit des ABWR en 4 ans en respectant les coûts. Areva et EDF sont peut-être incapables de se réformer, mais dans ce cas, c'est juste à l'avantage de leur concurrents.

      Supprimer
    3. Oui les gouvernemenrts ne peuvent pas répondre à ce sujet complexe et technique, fort peu "citoyen". Un des problèmes est le rôle des ecolos: ils ne s'intéressent qu'à une solution (parmi d'autres) sans bien délimiter le problème. Ton post est bien équilibré, car il décrit le problème!

      Je ne vois pas pourquoi on supprimerait totalement le nucléaire du mix électrique à venir. Les chinois ou russes seront ravis de venir construire les centrales qu'on ne saura plus faire parcequ'on en a eu honte...Terrestrial vient de lancer la certification de centrales à Thorium, Les russes viennent de brancher une centrale RNR type SuperPhenix. Les chinois finalisent un modèle PWR sans meltdown (car pas de coeur).La recherche est active et les prototypes nombreux, il ne faut pas baisser les bras. Ces centrales ont un taux de CO2/MWh imbattable.

      Supprimer
  2. commençons par limiter les exports du surplus nucléaire (60 TWh) et par augmenter le facteur de charge du nucléaire français .... cela permettrait de commencer à fermer deux tranches 900 MW par an sans impact significatif excepté sur la demande en extrême pointe (pour cela engageons réellement la rénovation énergétique des passoires thermiques et développons les batteries)
    un peu d'arithmétique :
    63 GW * 8760 h * 75 % = 414 TWh (production actuelle à qqs TWh près)
    (63-18)GW *8760 h * 85% = 335 TWh
    335 + 60 = 395 TWh
    il faudrait trouver 20 TWh et encore en supposant que la demande ne baisse pas ce qui n'est pas la tendance actuelle

    le paradoxe de cette solution c'est qu'elle aura plus d'impact négatif chez nos voisins qui sont ou veulent sortir du nucléaire mais continuent à dépendre des exportations du surplus nucléaire français (Italie depuis 25 ans, Suisse progressivement, Belgique et UK, et à plus long terme Espagne)qu'en France.
    inconvénient pour les écolos : ca montre que la solution pérenne est 40-60 % de nucléaire, 40% de renouvelable et 20% de gaz (ou de possibilités de stockage)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais on ne peut pas limiter les exports du nucléaire ! Pas plus que les Allemands ne peuvent limiter les exports des renouvelables, qui sont en train d'augmenter chaque année.

      L'électricité généré est toujours utilisé en priorité pour satisfaire la demande interne. Les exports ne viennent que quand à un moment X, la génération disponible est supérieure à la demande, et l'autre solution s'il y a des excès c'est de réduire la production sans la vendre, bref baisser le facteur de charge.

      Donc si le nucléaire français a des export et un facteur de charge réduit, c'est parceque fréquement il est capable de produire **à un moment où il n'y a pas de demande à satifaire** !
      Mais **les renouvelables ont le même problème** !

      Si vous voulez réduire les exports du nucléaire et augmenter son facteur de charge, vous êtes obligé de trouver un moyen de déplacer la demande vers les moments où il y a un surplus de production. En clair déplacer une part importante de la demande de l'hiver vers l'été. Ce qui ne va pas être simple à moins de remplacer le chauffage électrique par un chauffage fossile ce qui augmente les émissions de co2 (je suis prêt à vous démontrer par A + B que la très grand majorité du chauffage électrique français est fournie par des sources bas carbone, mais la démonstration est un peu longue).

      Mais les énergies fossiles ne font pas mieux, en réalité on a 2 énergies le nucléaire et les renouvelables qui préfèrent exporter et vendre à n'importe quel prix quand il y a des surplus, et 1 énergie le fossile, qui préfère baisser le facteur de charge et arréter de produire quand il y a des surplus possible de production (les surplus possible pour le fossile en Allemagne sont énorme, et le facteur de charge de toutes les unités très faible).

      La demande varie. Nous n'avons pas de meilleure réponse que surdimensionner l'appareil productif pour répondre au maximum de cette demande, et exporter ou réduire le facteur de charge quand on a trop de production. Suivant chaque moyen de production, pour répondre à une quantité annuelle de demande X on a besoin d'un surdimensionnement Y, et les renouvelables sont en réalité très mal placés face au nucléaire sur le facteur de surdimensionnement qui est nécessaire pour un même volume de demande.
      Aujourd'hui on progresse sur la capacité à répondre plutôt en modifiant la demande, mais il ne faut pas surestimer ce qui est réellement possible à ce niveau et le coût de demander à quelqu'un de déplacer sa demande, c'est à dire la valeur monétaire pour lui de devoir consommer à un moment X plutôt que Y, donc ce qu'il faut le payer pour qu'il le fasse. Par exemple, on le fait aujourd'hui avec les chauffe-eau, et le coût c'est celui du chauffe-eau, de son remplacement régulier, et des pertes de chaleur, la quantité d'eau qui aura refroidit avant d'être utilisée, donc aura été chauffée pour rien. Toutes les méthodes de déplacement de la demande ont un coût économique, à mettre en face du coût du surdimensionneemnt qu'on utiliser à la place.

      Supprimer
  3. Qu'en est-il des centrales nucléaires au thorium?

    RépondreSupprimer
  4. Il ne faut pas fermer des centrales nucléaires; mais augmenter leur capacité pour sortir du pétrole. Car le nucléaire nécessite moins d'investissements physiques que l'éolien-photovoltaïque. Il est donc plus propre et plus sûr aussi. Non seulement un black-out serait une catastrophe, mais l'éolien provoque au moins 0,1 décès par TWh.

    L'éolien et le photovoltaïque sont une anarque en France et nous déjà 5 milliards d'euros par an.


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. > Il ne faut pas fermer des centrales nucléaires; mais augmenter leur capacité pour sortir du pétrole.

      ? La voiture électrique est loin d'être une alternative viable à celle au pétrole.

      Supprimer
  5. "mais l'éolien provoque au moins 0,1 décès par TWh." ???
    pas compris, vous pouvez argumenter ?

    RépondreSupprimer
  6. Le PV et l'éolien offshore ont des coûts très bas.
    15€/MWh au Chili, Mexique et Arabie Saoudite (PV).
    33€ en Allemagne (ÉOLIEN OFFSHORE).
    Les batteries vont baisser leur prix de 60 % d'ici 2030.
    On peut récupérer 60 TWh d'énergies fatales.
    Les BEPOS arrivent en 2020.
    CE QUI MANQUE : UNE VOLONTÉ POLITIQUE !!!
    Nothing else...

    RépondreSupprimer