La PPE pour les nuls

Questions - réponses sur la programmation pluriannuelle de l'énergie 2018Si vous vous intéressez à la politique énergétique française, vous avez très certainement déjà entendu parler de cette programmation pluriannuelle de l'énergie, PPE pour les intimes. Et ça ne fait que commencer : la première PPE, adoptée en 2016, doit être revue l'année prochaine et ce sera l'occasion pour Emmanuel Macron et son gouvernement de mettre en musique leurs promesses... ou de les abandonner.
Celà nous promet une année riches en discussions qu'on espère constructives avec, espèrons-le, une politique énergétique enfin mise au clair à la fin de 2018. Vous vous en doutez : nous allons suivre ça en détail...

Mais commençons par nous intéresser un peu à cette programmation pluriannuelle de l'énergie : Que contient-elle ? Quels sont les enjeux de la PPE 2018 ? Comment et quand devrait-elle être adoptée ?

Voici les réponses aux questions que vous pouvez vous poser sur ce sujet. Et si vous en avez d'autres, n'hésitez pas à les poser en commentaire je compléterai l'article au fur et à mesure.


Qu'est-ce que la programmation pluriannuelle de l'énergie ? Que contient-elle ?

En bref, la programmation pluriannuelle de l'énergie est une feuille de route sur 10 ans pour la politique énergétique en France métropolitaine (la Corse et les DOM-COM ont leurs propres PPE).
La PPE a été crée par la loi de transition énergétique de 2015 (LTECV) et codifié à l'article L. 141 du code de l'énergie. La première PPE a été établie en 2016 et doit être revue en 2018. Par la suite, les révisions auront lieu tous les 5 ans.

Le contenu de la PPE est défini par la loi. Elle doit comporter (au moins) 6 volets :
  1. Sécurité d'approvisionnement,
  2. Réduction de la consommation d'énergie,
  3. Développement des énergies renouvelables,
  4. Développement des réseaux et du stockage d'énergie,
  5. Compétitivité et prix de l'énergie
  6. Besoins en compétences et en formation.
La loi précise également que la PPE doit définir des objectif quantifiés et donner une indication des ressources publiques disponibles pour des atteindre.


A quoi ça sert ?

Dire que les hommes et femmes politiques ne s'intéressent qu'au court-terme, ce n'est pas qu'un cliché : c'est aussi la réalité de nos institutions. Le budget de l'Etat, notamment, est annuel : taxes, subventions, investissements... tout est remis sur la table à chaque fin d'année.
Dans certains domaines, cette incertitude permanente menace de paralyser l'action de l'Etat : les acteurs économiques ont besoin d'un minimum de stabilité pour prendre des décisions qui les engagent sur des années voire des décennies... Dans un immeuble en copropriété par exemple, des travaux d'isolation thermique prennent 5 à 8 ans, difficile de s'engager dans un tel projet quand on sait que les dispositifs de soutien et les normes applicables peuvent être revus au 1er janvier prochain, non ?

Pour que les trajectoires définies par l'Etat aient une chance de se réaliser, il faut qu'elles disposent d'une certaine stabilité dans le temps. C'est l'objectif des programmations s'étendant sur plusieurs années.


La PPE est-elle juridiquement contraignante ou un simple engagement politique ? 

Dérogeant au principe d'annualité, un principe central des finances publiques, ces programmations sont des OVNI juridiques et valent surtout comme engagement politique.
De plus la PPE est un simple décret. Situé assez bas dans la hiérarchie des normes, il doit notamment respecter la loi y compris si celle-ci change après son adoption. Le législateur peut par conséquent à tout moment revenir sur la PPE, d'autant qu'en principe il n'est pas consulté pendant son élaboration.

La programmation pluriannuelle de l'énergie est donc un engagement de valeur très limitée sur le plan juridique. Elle peut être remise en cause facilement même si, politiquement, elle engage le gouvernement.


Comment et quand la PPE 2018 devrait-elle être adoptée ?

Comme la programmation pluriannuelle de l'énergie est un décret, elle relève du pouvoir exécutif. C'est le gouvernement qui l'adopte sans vote du Parlement.
Cependant la loi de 2015 prévoit une longue liste de consultations avant l'adoption d'une nouvelle PPE. Doivent ainsi donner leur avis  le conseil national de la transition écologique, le comité d'experts pour la transition énergétique, le comité de gestion des charges de service public de l'électricité et le comité du système de distribution publique d'électricité. Le gouvernement souhaite de plus organiser une concertation avec le public.
Le texte doit aussi être présenté à l'Assemblée Nationale et au Sénat après avoir été adopté.

Toutes ces consultations prennent du temps, c'est pourquoi l'élaboration de la PPE doit s'étaler sur toute l'année 2018 : les consultations ont déjà démarré et la PPE devrait être adoptée à la fin de 2018 en même temps que la stratégie nationale bas carbone.
Calendrier de travail et consultation pour la programmation pluriannuelle de l'énergie 2018
Calendrier de travail de la PPE 2018 (cliquez pour agrandir)
Plus précisément, des ateliers par secteur sont organisés depuis la rentrée 2017. Le premier trimestre 2018 devrait être consacré à la finalisation des scénarios et à la consultation du public via la CNDP. La modélisation macroéconomique des scénarios doit avoir lieu au deuxième trimestre et la première version de la PPE 2018 devrait être présentée en juin. Les mois suivants seront consacrée aux consultations imposées par la loi, au terme desquelles l'adoption de la PPE est prévue pour décembre 2018.


La position du gouvernement sur le nucléaire va-t-elle changer quelque chose ?

Ce calendrier risque cependant d'être bousculé par la remise en cause de l'objectif de 50% de nucléaire en 2025.
En effet, la loi dispose explicitement que la PPE a pour but d'atteindre les objectifs de la politique énergétique nationale (art. L.141-1 du code de l'énergie) dont "réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025" (L.100-4).

La PPE 2018 sera-t-elle illégale si elle est manifestement incompatible avec cet objectif ? Hé bien... La réponse fait l'objet d'un débat juridique mais elle est probablement négative. En effet, le Conseil Constitutionnel lorsqu'il s'est prononcé sur la loi de 2015 n'a pas reconnu de portée normative aux objectifs énoncés dans son article 1 (voir le considérant 12).
En clair l'objectif de 50% de nucléaire en 2025 énoncé dans la LTECV n'a probablement pas de valeur juridique, il ne s'agit que d'affichage politique.

Le gouvernement a donc trois possibilités :
  • Soit il adopte une PPE ignorant l'objectif de 50% ou visant 50% mais après 2025 ce qui serait incompréhensible pour le citoyen insensible aux subtilités du droit public (et présenterait quand même un petit risque d'annulation par le Conseil d'Etat),
  • Soit il adopte une PPE visant 50% en 2025 alors que le ministre en charge de l'énergie a dit sans ambiguïté que cet objectif n'est pas réaliste,
  • Soit il fait modifier la loi par le Parlement afin de supprimer l'objectif de production nucléaire ou de la remplacer par un autre qui reste à déterminer en veillant à mettre en cohérence les autres objectifs chiffrés de la loi de 2015.
Les deux premières options contribueraient à ruiner un peu plus la crédibilité de l'Etat en matière de politique énergétique et risqueraient de nous emmener vers un nouveau quinquennat perdu.
La dernière est donc de loin préférable mais elle implique de fixer un autre objectif pour la production nucléaire et de le faire adopter par le parlement avant que les travaux autour de la PPE puissent réellement commencer. Sur un sujet aussi sensible que le nucléaire, on voit mal comment cela pourrait se faire sans de longs mois de retard.

Quels sont les autres objectifs que devrait respecter la PPE ?

Les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie sont encadrés par les articles L.100-1, L.100-2 et L.100-4 du code de l'énergie. Leur valeur juridique est, comme on l'a vu, douteuse et ils contiennent surtout des déclarations de principes : assurer la sécurité d'approvisionnement, maintenir un prix de l'énergie compétitif, préserver la santé humaine et l'environnement, contribuer à une Europe de l'énergie, etc.
Il y a aussi quelques objectifs chiffrés, notamment :
  • Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030 et de 75% en 2050 par rapport 1990,
  • Réduire la consommation d'énergie finale de 20% en 2030 et de 50% en 2050 par rapport à 2012,
  • Réduire la consommation d'énergies fossiles de 30% en 2030 par rapport à 2012,
  • Parvenir à 23% d'énergies renouvelables dans la consommation finale en 2020 et 32% en 2030 (dont 40% pour l'électricité),
Certains de ces objectifs pourraient être révisés en même temps que les 50% de nucléaire en 2025.


Quel est le bilan de la PPE 2016 ?

Sur la forme, le décret de la PPE 2016 donnait parfois dans le gore juridique avec notamment cet article 1 "adoptant" une page web citée en note de bas de page.
Sur le fond, le decret était loin de couvrir tous les sujets prévus par la loi, on n'y trouvait par exemple aucune indications sur les financements. Et les rares disposition pratiques sont restées largement lettre morte, c'est le cas notamment du plan stratégique qu'EDF devait préparer dans un délai de 6 mois et qu'on attend encore.

Un bilan de la PPE de 2016 doit être effectuée avant l'adoption de la PPE 2018. Il risque d'être moyennement flatteur mais espérons que cette expérience incitera le gouvernement actuel à plus de sérieux.

Publié le 4 décembre 2017 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 5 décembre 2017

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4 commentaires :

  1. Tout un tas d'organismes ont contribué à l'élaboration de la dernière PPE. Que Ségolène ou Nicolas et leurs admirateurs ne sachent pas que le soleil se couche tous les soirs ou que le vent parfois ne souffle pas ou très peu ne surprendra personne, mais que des ingénieurs de RTE par exemple (en charge de la stabilité du réseau électrique) ignorent cela me surprendrait beaucoup. J'aimerais bien savoir s'il y avait des "électriciens" dans ces réunions, ont ils émis des objections et si oui, quelle réponse leur a été faite alors ?
    Signé: papijo

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    1. Tant qu'on est à moins de 40 GW de renouvelables non pilotables, pas de soucis: il faut juste moduler la puissance des centrales pilotables. (et on est très loin des 40-50 GW).
      On parle beaucoup d'électricité et de nucléaire lors des PPE, alors qu'elle couvre aussi le secteur du transport et du chauffage.

      Les vrais sujets capables de faire baisser notre consommation de fossiles sont le transport et chauffage/climatisation. Deux sujets sur lesquels on a des solutions (isolation, transport ferroviaire, voies d'eau, relocalisation de l'économie, etc, etc, ...)

      Au final, il vaut mieux laisser la guerre idéologique ENRs/Nucléaire de coté dans cette PPE 2018, et être volontaire sur les volets transport, chauffage et économie d'énergie.
      On pourrait aussi fixer des objectifs pour les bureaux (gouffres en énergie), de développer les éco-quartiers, de reconsidérer la géothermie, de remettre des capteurs solaires sur les toits pour l'ECS, ...
      Et reconsidérer le puits canadien (ou dit provençal dans le midi): une solution simple qui réduit considérablement les besoins en énergie.

      Bref élargir le périmètre à tout ce qui consomme pétrole, gaz ou électricité. C'est seulement en faisant cela qu'on pourra tendre vers la neutralité carbone.

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    2. "Tant qu'on est à moins de 40 GW de renouvelables non pilotables, pas de soucis"
      Pas de soucis ... cela reste à prouver !
      Autre problème: baisser la production d'une centrale au gaz, on conçoit que cela permet au moins d'économiser sur le combustible, mais dans le cas du nucléaire, le prix du combustible est très faible et baisser la production "coûte de l'argent" ! C'est d'ailleurs pour cela que, dans le temps, EDF avait construit des STEPs (centrales de pompage / turbinage) pour alimenter le réseau de jour avec les surcapacités de la nuit. De plus, les montées et descentes de températures associées aux variations de production engendrent des contraintes qui réduisent la durée de vie des éléments principaux de la centrale ou réduisent les marges de sécurité (en espérant qu'un ingénieur un peu fou ne s'amusera pas lors des changements d'allure à tenter une expérience "à la Tchernobyl"). Donc, pourquoi vouloir baisser "de temps en temps" la puissance des centrales nucléaires ?
      Quel est le bénéfice pour la collectivité ?

      Dans un autre domaine, j'ai une idée ... Et si on interdisait à l'argent issu des "paradis fiscaux" d'investir dans les ENRs subventionnées ! Pourquoi obliger le consommateur d'électricité à engraisser des gens qui se sont arrangés pour éviter l'impôt ?
      Signé: papijo

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    3. A moins de 40 GW de renouvelables non pilotable, la solution technique n'est pas trop difficile en gardant le même parc de centrales nucléaires, d'autant qu'EDF a depuis plusieurs un plan pour améliorer la gestion du parc et la flexibilité des réacteurs.

      Mais d'un point de vue économique et politique c'est autre chose, tout d'abord si le passage à 50% se fait sans fermeture de réacteurs, des levées de bouclier sont à prévoir, ensuite on additionne les facteurs de coût de tout coté :
      - Coût des 40 GW renouvelables
      - Coût grand carrénage pour toute les flotte
      - Coût adaptations flexibilité à la marge sur le grand carénage
      - Coût d'opération de la flotte nucléaire identique malgrès une production diminuée de 30%

      Ceci dit si on ne fait pas cela, combien coûte l'alternative ? Si on ferme des centrales, quel moyen est utilisé pour continuer à passer les pointes et combien coûte-t-il ? Là aussi si on a une réponse concrète, précise, détaillée, et qui ne consiste pas juste à renoncer purement et simplement à nos objectifs carbones à cause d'une contribution négative du secteur électrique, les coûts vont s'accumuler.

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