[Article invité] Après l'inauguration d'une centrale équipée : le "charbon propre", déjà une réalité ?

Clara Kayser-Bril est ingénieur, spécialiste de l’accès à l’électricité dans les pays en développement. L’impact environnemental du système énergétique mondial est une problématique à laquelle elle s’intéresse particulièrement : peut-on concilier énergie pour tous et développement durable ?


Les premiers kWh au "charbon propre" arrivent sur le réseau


Boundary Dam 3 (centrale électrique à charbon avec captage et séquestration du carbone)
Brûler du charbon pour produire de l’électricité, c’est à peu près ce qui se fait de pire pour le climat : à chaque kilowatt-heure produit, l’équivalent de 900 g de CO2 est envoyé dans l’atmosphère – deux fois plus qu’avec du gaz naturel, trente fois plus qu’avec du solaire photovoltaïque. Mais, grâce à une technologie peu coûteuse et bien maîtrisée, le charbon continue de séduire, en permettant notamment de produire à bas coût l’électricité dont ont tant besoin les pays émergents. Et les réserves mondiales de charbon sont suffisantes pour plus d’un siècle.
C’est pour tenter de réconcilier énergie abondante et protection environnementale qu’est né le concept de "charbon propre" : capter le CO2 émis par la combustion du charbon, le stocker en lieu sûr, et voilà l’une des technologies les plus polluantes de la planète devenue quasi-inoffensive.

Testé à petite échelle depuis une dizaine d’année, le "charbon propre" serait-il en passe de devenir une réalité ? Oui, serait-on tenté de répondre après la mise en service en octobre dernier de la première centrale à charbon de taille industrielle intégrant un dispositif de captage et stockage de CO2 (CSC).


Capter et stocker 1 million de tonnes de carbone par an


Avec les 110 MW de Boundary Dam 3 (Saskatchewan, Canada), le "charbon propre" change d’échelle. 90% du CO2 produit lors de la combustion du charbon – soit un million de tonnes par an, l’équivalent des émissions annuelles de 100 000 français – seront retenues et stockées au lieu d’être rejetées dans l’atmosphère. Une série de filtres (captage par absorption avec un solvant chimique – pour plus de détails sur le process c’est ici) permet de retenir le dioxyde de carbone et le dioxyde de soufre présents dans les gaz d’échappements de la centrale. Le CO2 est ensuite acheminé par pipeline sur quelques dizaines de kilomètres jusqu’à un champ pétrolifère, où il est injecté dans les puits afin d’en augmenter la productivité. C’est ce qu’on appelle la récupération secondaire : après quelques années d’exploitation, la pression naturelle et donc la production du puits baissent ; l’exploitant y injecte alors un fluide pour augmenter la pression de fond et ainsi stimuler la production. Le CO2 restera stocké sous terre une fois les réservoirs vidés – une technique sûre et éprouvée d’après les promoteurs du projet.


Combien coûte la capture du CO2 ?


Au total, le projet a coûté 1,35 milliard de dollars canadiens (945 millions d’euros) dont environ 20% de subvention gouvernementale. A puissance équivalente, c’est environ 5 fois plus qu’une centrale à charbon sans captage du carbone qui aurait coûté dans les 150-200 millions : le surcoût est énorme. A ces investissements importants s’ajoute une surconsommation d’énergie de l’ordre de 25%. En effet, en plus de sa capacité nette de 110MW, la centrale a besoin de 29 MW additionnels qui ne servent qu’à alimenter le processus de captage. Le CSC est très énergivore.
Ramené à la tonne de CO2, d’après mes calculs de coin de table cela revient à 95 euros la tonne évitée. C’est très élevé : sur le marché européen la tonne s’échange aujourd’hui à 7 Euros. Et pour 20-30 euros la tonne, des ONGs très sérieuses comme le GERES proposent de compenser vos émissions carbone en contribuant à des projets d’efficacité énergétique auprès de populations défavorisées.


La rentabilité commerciale est encore loin


Qu’on aborde la question sous l’angle de la production d’électricité ou sous celui des émissions évitées, la technologie mise en œuvre à Boundary Dam 3 est encore loin de la rentabilité commerciale. Mais le projet, qui s’est déroulé sans surcoût ni retard majeur, a au moins eu le mérite de démontrer la faisabilité technique du CSC post-combustion à l’échelle industrielle. L’opérateur public SaskPower, initiateur du projet, ne compte d’ailleurs pas en rester là : en partenariat avec plusieurs industriels il mène en parallèle une gamme d’expérimentation sur toutes les étapes du captage et du stockage du CO2. Pour l’état canadien du Saskatchewan, détenteur d’importantes réserves de charbon et soumis à une législation environnementale de plus en plus contraignante, il est assez judicieux de se positionner ainsi comme leader dans la recherche sur le "charbon propre". Sachant qu’à l’échelle mondiale on compte aujourd’hui 2300 centrales au charbon et que plus de 1000 sont en développement, la technologie a clairement du potentiel si elle arrive à diminuer ses coûts.
C’est un défi de taille, sur lequel portent l’essentiel des efforts de R&D. D’après un récent rapport du CCS Institute, la mise au point de technologies de captage plus performantes permettraient de ramener les coûts à 35 € la tonne en 2020-25. Le stockage reste aussi un point clé : quelle doit être la destination finale du carbone ? La réponse est d’abord technique et soulève des inquiétudes quant à la sécurité, comme souligné précédemment sur ce blog. Mais il y a là aussi des enjeux commerciaux : la vente du CO2 plutôt que son stockage pur et simple augmente l’attractivité des technologies CSC. A tel point qu’on préfère aujourd’hui l’acronyme CSCV, "V" pour "Valorisation du CO2". Alors, quelles pistes pour la valorisation ? L’injection dans un puits de pétrole est techniquement bien maîtrisée et génératrice de profits. Mais on n’a pas toujours un puits de pétrole à proximité – sans parler du paradoxe qui consiste à capter du CO2 pour produire plus de pétrole qui produira du CO2 à son tour... D’autres possibilités, moins matures, seraient d’utiliser le CO2 comme intrant pour l’industrie chimique, comme fluide caloporteur pour la géothermie, voire comme source nutritive pour la culture de microalgues.

J’en conclus que la mise en service de Boundary Dam 3 ne marque pas le début de la révolution du "charbon propre". Mais c’est une avancée prometteuse, un nouveau cap franchi vers la mise au point des technologies de CSCV. Je suis persuadée que ces technologies, sans constituer une solution miracle, auront un rôle à jouer pour la décarbonisation de notre économie.

Les données utilisées dans cet article et les détails des calculs sont accessibles ici.

Illustration : By mattbuck [CC BY-SA 2.0 or CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons


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2 commentaires :

  1. Rien de propre dans tout cela car si le CO2 est injecté dans de vieux puits de pétrole pour permettre d'extraire davantage de pétrole, celui-ci produira à nouveau du CO2 lors de sa combustion. Et le pétrole s'accompagne souvent de gaz, le méthane au pouvoir 27 fois plus "réchauffant" que le CO2, avec des fuites bien souvent.

    Le vrai problème n'est pas le CO2 mais le reste dans les fumées de combustion du charbon. Si l'on en brûle 25% de plus, cela augmente d'autant la véritable pollution qui n'est qu'en partie filtrée.

    Compte tenu du coût de cette solution, il est sans doute plus économique à ce jour de prévoir des solutions à base d'énergies renouvelables complétées par du stockage quotidien.

    http://energeia.voila.net/solaire/stockage_solaire_pv.htm

    Cela peut se faire au niveau d'un parc éolien ou solaire, mais aussi au niveau d'un consommateur disposant d'un système photovoltaïque.

    En réalité, ce prétendu "charbon propre" est surtout un moyen de capter des subventions importantes pour pouvoir extraire davantage de pétrole.

    Curieusement, on ne voit pas de CO2 simplement stocké, sans lien au pétrole.

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  2. Bonjour, je suis l'auteur de l'article.
    @Merlin. Vous avez raison, les énergies renouvelables sont une solution bien plus durable que le charbon "propre". Mais force est de constater que c'est vers le charbon que se tournent encore de nombreux producteurs d'électricité. La Chine, l'Inde... construisent des centrales au charbon à tour de bras pour faire face à la demande de leurs populations. Parce que, à court terme, c'est un investissement sûr, une technologie maîtrisée, la certitude d'un kWh (financièrement) peu onéreux. Je déplore autant que vous cette vision court-termiste qui néglige les énormes problèmes environnementaux et sociaux liés à l'industrie du charbon. Aussi, lorsque cette même industrie commence à se préoccuper de ses émissions de GES et à proposer des solutions techniques pour les réduire, je pense que c'est une piste intéressante. Loin d'être magique, certes, mais intéressante -- à suivre d'un oeil critique !

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