"Unburnable carbon" et TESEN, la transition énergetique face à la question financière

Deux travaux importants ont été publiés au cours des derniers jours, le rapport "Unburnable carbon" de l'association Carbon Tracker et de la London School of Economics qui montre que les marchés surestiment la valeur des entreprises détenant des réserves de charbon ou d'hydrocarbures, et la proposition du WWF de créer un fond pour financer la transition énergétique et préparer le démantèlement des centrales nucléaires.
Ces deux sujets n'ont rien à voir ? Si : leurs auteurs abordent les questions énergétiques sous l'angle financier. En effet, l'énergie est souvent vue comme une problématique technique, parfois sociale mais le financement est trop rarement abordé, particulièrement en France où on tient pour implicite que l’État payera.

La transition énergétique, une question de capex ?


Or les paramètres financiers expliquent largement les choix énergétiques. Pourquoi la France veut-elle prolonger ses centrales nucléaires alors que l'Allemagne ferme les siennes ? L'excédent commercial de l'Allemagne et une meilleure tolérance à l'endettement suite aux réformes de années 2000 ne sont certainement pas pour rien dans ces orientations divergentes. Changer de modèle énergétique nécessite d'immobiliser un capital important à long-terme et avec un taux d'intéret suffisamment faible pour assurer la rentabilité de l'opération. Le contexte économique et politique permet à l'Allemagne de mobiliser de tels fonds relativement facilement.
En France au contraire, la fragilité de l'économie et le dogme de la rigueur budgétaire favorisent les retours sur investissement rapides et finalement le laisser-faire.


Face à cette situation, le WWF propose de faire d'une pierre deux coups en créant un fond destiné à préparer le démantèlement des centrales nucléaires françaises, cela permettrait :
  1. D'abord de sécuriser les fonds nécessaires au démantèlement des installations nucléaires. En effet, selon l'association, les provisions passées par les acteurs de la filière en vue du démantèlement sont insuffisantes et placées sur des valeurs trop risquées face au défi titanesque du démantèlement : en Allemagne, il devrait durer jusqu'en 2080 !
  2. Et puisque les projets de démantèlement s'étaleront sur le siècle à venir, de financer les investissements de long-terme nécessaires à la transition vers un système énergétique plus sobre et plus propre en plaçant judicieusement l'argent affecté à ce fond.
Ce fond, que le WWF nomme TESEN pour "Transition Energétique et Sortie Equitable du Nucléaire" serait alimenté à hauteur d'au moins 300 milliards d'euros par les producteurs d'électricité nucléaire (donc in fine par les consommateurs d'électricité).

Mais où est l'argent de la transition énergétique ?


Pourquoi l’État doit-il intervenir pour que la transition énergétique soit financée ? Si la "main invisible" des marchés financiers ne leur alloue pas spontanément les fonds nécessaires à leur développement, n'est-ce pas la preuve que les énergies renouvelables ou la sobriété énergétique ne sont pas économiquement viables ? Et en investissant malgré tout dans cette direction ne va-t-on pas détourner de l'argent qui aurait été plus utile ailleurs ?

Le rapport de Carbon Tracker et de la London School of Economics apporte un élément intéressant à la réflexion. En bref, pour atteindre l'objectif que la communauté internationale s'est fixé à Copenhague en 2009 (limiter la hausse des températures à 2°C), les émissions de dioxyde de carbone ne doivent pas dépasser 565 milliards de tonnes de CO2 d'ici à 2050. Or cela ne représente que 20% des réserves prouvées de combustibles fossiles. Conséquences : les secteurs des hydrocarbures et du charbon sont très sur-évalués, dans la réalité leurs réserves de combustible ne valent pas grand chose et il devrait être pratiquement impossible de lever des fonds pour explorer de nouveaux gisements.

Et pourtant les réserves restent un critère indispensable pour juger de la valeur boursière d'une compagnie minière, lorsque Shell par exemple renonce pour cette année à l'exploration de l'océan Arctique son cours en bourse chute à son plus bas depuis 2011. Résultat : près de 700 milliards de dollars ont été dépensés l'année dernière pour développer les réserves de combustible fossile. En pure perte.
Concernant la capitalisation des entreprises pétrolières, HSBC estime que les entreprises pétrolières et gazières sont surévaluées de 40 à 60% en raison de la faible probabilité qu'elles puissent exploiter leurs réserves les plus coûteuses à produire et de la baisse du cours des hydrocarbure qui résultera de la décarbonation de l'économie. 40 à 60% de 4 mille milliards de dollars !


En mettant ces deux travaux côte à côte, on ne peut pas éviter de se poser une question : la "bulle du carbone" n'absorbe-t-elle pas des fonds qui pourraient permettre de développer d'autres secteurs notamment ceux des énergies renouvelables ou des services énergétiques ?

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